Le café-récits, un espace de parole comme un autre ?

Groupes de parole, forums d’idées, ateliers-débats, etc. Les espaces d’échanges sont nombreux et poursuivent tous une ambition louable et utile au sein de la collectivité. Dans cette diversité de lieux, qu’est-ce qui distingue les cafés-récits ? Nous avons posé la question à Déo Negamiyimana, qui a eu l’occasion d’animer plusieurs rencontres, dont la dernière selon les principes du café-récits.

Texte: Anne-Marie Nicole

Les différents espaces de parole possèdent généralement des caractéristiques qui leur sont propres: domaine d’action ou thématique spécifique, visée thérapeutique, échange de bonnes pratiques, offre d’aide et de conseil, etc. Le plus souvent aussi, ces lieux répondent à des règles de fonctionnement qui leur appartiennent et s’adressent à des groupes particuliers de personnes.

Déo (à gauche) aime animer les rencontres par les jeux. Son chapeau irlandais symbolise sa feuille préférée, la trèfle, dont la croyance populaire irlandaise dit qu’elle porte bonheur.

Et les cafés-récits, qu’est-ce qui les caractérisent ? Ce sont des espaces de rencontre dédiés à la conversation attentive et bienveillante, dont l’objectif est de créer des liens et des résonnances entre les histoires des gens. Ni débats, ni leçons, ni conseils, mais un partage basé sur les expériences, les vécus, les souvenirs et les éclats de vie sur un thème donné. Personne n’a tort, personne n’a raison.

En l’espace de six mois, Déo Negamiyimana (à gauche), qui préside le Centre pour la promotion de l’écriture et la liberté d’expression (CEPELE), à Bulle (FR), a animé trois rencontres. La première, sur le thème de l’intégration des migrant-es, a donné aux participant-es l’opportunité de partager leurs idées et leur compréhension de la question de l’intégration. Une deuxième rencontre, s’est tenue en juin 2021 dans le cadre des Journées nationales du café-récits, tandis que la troisième a eu lieu à la mi-janvier 2022 et s’est déroulée selon les modalités et les règles de discussion du café-récits. Elle a réuni des jardinières et jardiniers en herbe ou chevronnés autour du thème du jardinage. Les personnes ont raconté comment cette passion du jardinage leur est venue, qu’est-ce ou qui est-ce qui leur en a donné le goût, quelle a été leur plus grande fierté ou encore si elles ont un jardin secret.


Anne-Marie Nicole: Déo, en quoi ce café-récits était-il différent des deux premières rencontres que vous avez animées sur les thèmes de l’intégration et des événements de la vie?

Déo Negamiyimana: La troisième rencontre était très différente des deux premières parce que j’avais déjà acquis de l’expérience au niveau de la préparation et de l’animation. Je l’ai préparée en collaboration avec une autre animatrice, ce qui m’a aidé à tisser de manière approfondie la trame des questions, tandis que pour les premières rencontres, je m’étais contenté de questions souvent improvisées, ce qui m’a fait perdre le fil de la conversation. Les apports étaient davantage théoriques, comme la définition du concept d’intégration, la qualité de migrante ou migrant, les avantages d’une intégration réussie, etc., et moins axés sur les récits de vie des personnes. L’animation du troisième café-récits s’est faite de manière plus détendue, ayant profité aussi d’une autre expérience auprès de Renata Schneider, à Fribourg, que je suis allé voir animer son énième café-récits. Curiosité, expérience et organisation ont donc caractérisé mon dernier café-récits, dont le thème sera d’ailleurs repris pour un autre café-récits que j’animerai à Bulle, au mois de juin prochain.

Pourquoi avoir choisi ce thème du jardinage?

De mes échanges avec une animatrice, divers thèmes ont émergé. Le jardinage a tout de suite suscité mon intérêt parce qu’il fait appel à l’actualité des jardinières et des jardiniers dans notre région de la Gruyère. Cette animatrice m’a d’ailleurs mis en contact avec une responsable du jardinage de la Croix-Rouge fribourgeoise qui en a parlé autour d’elle, suscitant l’intérêt des usagères et usagers des Jardins des Capucins qui ont participé en nombre au troisième café-récits avec beaucoup d’histoires à raconter.

Comment les participant-es au café-récits sur le jardinage ont-ils accueilli le format de cette rencontre?

Après avoir présenté le concept du café-récits, les personnes ont pris librement la parole, racontant chacune ses expériences passées et actuelles. Très spontanément, elles ont évoqué leurs histoires avec enthousiasme et respect mutuel, et poursuivi les échanges de façon informelle autour d’un apéritif.

Quel moment fort gardez-vous en mémoire?

Je garde en mémoire l’histoire d’une participante qui détestait jardiner. Née dans une grande ville, elle n’avait jamais été en contact avec la terre. Plus tard, sa fille a appris à jardiner avec l’école et chaque fois qu’elle rentrait à la maison, elle insistait pour que sa mère aille jardiner avec elle. Aujourd’hui, non seulement la mère accompagne sa fille, mais elle est aussi passionnée par tout ce qui touche au jardin et, surtout, elle n’a plus peur des petites bêtes qui peuplent le sol, et qui ont longtemps été son cauchemar à chaque fois qu’elle pensait au jardin.

Quels enseignements tirez-vous de ce café-récits pour la suite des activités de votre association?

C’est un café-récits qui m’a donné envie de m’investir de manière assidue. Trois cafés-récits sont déjà au programme de cette année. Il n’est pas impossible que deux ou trois autres s’y ajoutent. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, dit le proverbe!

Portrait

Déo Negamiyimana, est journaliste et formateur d’adultes. Il préside le Centre pour la promotion de l’écriture et la liberté d’expression (CEPELE), à Bulle (FR). Cette association œuvre dans le domaine de la migration, de l’écriture et de l’intégration culturelle. «On peut être Suisse de naissance et être migrant-e», dit-il, rappelant ainsi que l’intégration culturelle se fait aussi souvent lorsqu’on passe d’un canton à l’autre.