Ce que le chez-soi dit de nos parcours de vie

« Ici, ailleurs, partout… Où est votre chez-vous ? » Tel était le thème du café-récits organisé début octobre au Musée Ariana, à Genève. Une quinzaine de personnes ont pris part à cette rencontre. Les échanges à propos du chez-soi, de sa signification et de son importance ont révélé la richesse et la diversité des parcours de vie.

Abrité dans un véritable palais construit à la fin du 19e siècle, le Musée Ariana est le seul musée de Suisse entièrement dédié à la céramique et au verre. Ses collections figurent aussi parmi les plus importantes d’Europe. Mais quel est donc le lien entre des créations de céramique et de verre et le chez-soi, vous demanderez-vous. En fait, ce café-récits est l’aboutissement d’un travail de fin de formation en médiation culturelle réalisé par Kerstin Lau, médiatrice culturelle et animatrice de cafés-récits. Selon elle, la médiation culturelle peut prendre des formes multiples, qui répondent à des besoins de participation culturelle et d’ouverture des institutions culturelles à des groupes de population spécifiques divers. Les cafés-récits s’inscrivent dans ce même esprit : faciliter les rencontres, favoriser les échanges entre des mondes souvent étrangers les uns aux autres, dissiper les réticences et les appréhensions des contacts avec les autres.

Une fois n’est pas coutume, ce café-récits a commencé par une courte visite guidée du musée et des objets du quotidien qui y sont exposés, en l’occurrence des théières. Cette brève incursion dans l’univers du thé, boisson universelle, objet d’un cérémonial dans certains pays, a été l’occasion pour les participant·e·s d’évoquer des souvenirs plutôt touchants : ici le service à thé de la grand-mère qu’on ne sortait que le dimanche et dont on admire encore aujourd’hui la finesse de la porcelaine, là le thé qu’on ne buvait que quand on était malade, là encore la tasse de thé partagée pour se donner le temps de la réflexion avant l’achat d’une maison – un chez-soi pour la vie…

Le chez-soi est-il nécessairement un lieu?

Mais qu’est-ce que le chez-soi ? Une question que Kerstin Lau se pose depuis longtemps, elle qui a ses racines en Allemagne où elle a grandi et où elle a encore sa famille et ses amis, une question qu’elle a souhaité partager dans le cadre de ce café-récits. « Le chez-soi est-il un lieu, un pays en particulier ? Ou alors le chez-soi est-il associé à des personnes, des souvenirs, des couleurs, des saveurs, des odeurs ?

Avec Kerstin Lau, nous avons animé cette rencontre en tandem. Pour ouvrir la parole, nous avions convié deux « témoins » : Laurence et Jean-Charles. Laurence, qui a quelques ports d’attache mais pas de véritable chez-soi, se définit comme une nomade. En évoquant cette existence vagabonde, le fait de raconter et de mettre des mots sur son vécu, Laurence s’est rendue compte que son choix de vie avait ses racines dans son enfance et dans l’histoire familiale. Quant à Jean-Charles, il pourrait aisément incarner la sédentarité et la stabilité. Âgé de 70 ans, il vit dans la commune où il est né. S’il a parfois déménagé, ça n’était jamais bien loin, et ses foulées de coureur à pied l’ont toujours ramené dans sa campagne natale, là où ses parents et ses grands-parents avaient déjà leurs racines.

Lorsqu’on est privé de chez-soi

Les récits se sont ensuite enchaînés, révélant des parcours de vie riches et différents et montrant combien la conception du chez-soi comme un lieu dans lequel on se sent bien peut varier d’une personne à l’autre : la chaleur d’un feu de cheminée, les rayons de soleil qui entrent par la fenêtre, une BD et un bon whiskey, la vue sur les arbres, une architecture adaptée, un lieu à soi, des liens plutôt qu’un lieu… Pour d’aucuns, le chez-soi est aussi à rechercher à l’intérieur de soi-même. Des situations exceptionnelles comme la crise sanitaire liée au Covid-19 nous obligent par ailleurs à repenser le chez-soi. Parfois, ce sont les circonstances de la vie qui nous font prendre conscience de l’importance du chez-soi, surtout lorsqu’on en est privé, comme l’a raconté un participant. Sans domicile fixe durant une année, il a vécu à droite à gauche, partout là où on voulait bien l’accueillir. Aux personnes présentes, il a raconté son expérience, le sentiment de déracinement et d’insécurité. Avec beaucoup d’émotion, il dit avoir pris la mesure des difficultés auxquelles sont confrontées, notamment, les personnes migrantes et les sans-abri.

Ce café-récits a été très apprécié des participant·e·s. Les échanges se sont déroulés avec beaucoup de respect, d’empathie et d’écoute bienveillante. Fort de cette belle première expérience, le Musée Ariana a décidé d’organiser d’autres cafés-récits dès l’année prochaine.

Texte et photo : Anne-Marie Nicole