La Coordination Pedibus Vaud a choisi le format des cafés-récits pour promouvoir ses activités intergénérationnelles auprès de la population âgée et renforcer les liens entre les seniors et les enfants des écoles et des structures d’accueil parascolaire. Ensemble, ces deux publics ont partagé leurs récits et leurs expériences «sur le chemin de l’école».

Propos recueillis par Anne-Marie Nicole

Vanessa Merminod, qu’est-ce que le Pedibus?

Le Pedibus est une campagne de l’ATE, Association transports et environnement. C’est un système d’accompagnement des enfants entre 4 et 8 ans qui vont à l’école à pied, sous la conduite d’une personne adulte. Généralement, ce sont les parents qui accompagnent les enfants sur les lignes Pedibus, à tour de rôle. Dans le cadre du Pedibus intergénérationnel, nous voulons sensibiliser les seniors à la mobilité douce, à l’activité physique et à la cohésion sociale en leur proposant de se joindre à une ligne Pedibus.

Pourquoi avoir choisi le format des cafés-récits?

Notre objectif était de renforcer les liens intergénérationnels entre des publics qui ne se connaissent pas forcément, mais qui se côtoient dans le même quartier. Le café-récit est une bonne façon de faire se rencontrer les seniors et les enfants, et de les inviter à échanger et partager leurs expériences et leurs histoires sur un thème que tout le monde connaît ou a connu: le chemin de l’école.

Comment se sont déroulés ces café-récits?

Deux cafés-récits se sont déroulés début février de cette année, au Centre du Panorama, un lieu d’accueil et de rencontre pour seniors, à Vevey. Les seniors ont ainsi invité les enfants et leurs éducatrices et éducateurs «chez eux», dans un lieu qui leur est familier. Comme il y avait beaucoup de monde, nous avons dû organiser deux cafés-récits en parallèle, de vingt personnes chacun, animés par Daniela Hersch et Evelyne Mertens. Un troisième café-récits a eu lieu à Morges, dans le cadre de l’activité parascolaire. Là, ce sont les enfants qui ont reçu les seniors sur «leur terrain». Pour faciliter la parole, les animatrices avaient apporté des images suggestives en lien avec le chemin de l’école. À la fin, nous avons offert à chacune et chacun une boîte à goûter – un objet souvenir qui convient bien à toutes les générations !

Comment ces cafés-récits ont-ils été accueillis par les participant·es?

Les échos que nous avons reçus étaient très positifs et enthousiastes. Les seniors étaient contents de participer à une activité intergénérationnelle et les enfants de faire quelque chose de différent, hors du contexte habituel. Toutes et tous ont raconté avec plaisir leurs récits en lien avec le chemin de l’école. C’est un thème qui était particulièrement bien adapté à toutes les générations ! Les règles énoncées au début du café-récits ont été très appréciées, surtout celle qui dit qu’on est obligé d’écouter, mais pas de parler ! À force d’écouter les récits des autres, même les personnes réticentes ont pris confiance et se sont exprimées. Même les enfants les plus jeunes ont maintenu leur attention dans l’échange durant 45 minutes !

Y a-t-il un moment qui vous a particulièrement marquée?

Certainement: quelle que soit l’époque, le chemin de l’école semble avoir toujours été un moment d’amitié privilégié. Le récit d’une travailleuse sociale d’une vingtaine d’années qui accompagnait les enfants a fait écho à celui d’une senior qui a raconté avoir fait le chemin de l’école avec sa meilleure amie et qui l’est restée toute sa vie. Moi aussi, je me souviens de ce moment où on se racontait tout. A contrario, un enfant a raconté que son copain avait déménagé et qu’il était triste de ne plus pouvoir faire le chemin avec lui ni lui raconter ses histoires.

Quels sont les défis particuliers des cafés-récits intergénérationnels?

Nous sommes encore dans une période post-covid où il faut relancer certaines activités. À Vevey comme à Morges, nous avons pris conscience de l’importance du lieu choisi, d’autant plus qu’il s’agissait d’une activité nouvelle: le cadre familier a permis de mettre en confiance, tant les seniors que les enfants… même si les enfants sont parfois plus timides pour prendre la parole ! La question de la parité des participant·es s’est aussi posée. Dans la logique des lieux où se sont déroulés les cafés-récits, il y a eu davantage de seniors à Vevey, et davantage d’enfants à Morges. Enfin, nous sommes parfois tenus par des questions d’organisation des structures. Par exemple, à Morges, nous avons dû prévoir le goûter avant l’échange. Mais cela a permis de créer des liens déjà à ce moment-là et de faciliter ensuite la prise de parole.

Quelle suite envisagez-vous?

C’est certainement une formule que nous allons poursuivre, parallèlement à d’autres activités artistiques et balades dans la nature, qui toutes se réfèrent aux valeurs du Pedibus: la cohésion sociale, le sentiment de communauté, la sécurité et les liens intergénérationnels.

 

Vanessa Merminod

Vanessa Merminod est la coordinatrice de Pedibus Vaud de l’Association transports et environnement. À ce titre, elle conduit des actions de promotion pour faire connaître le dispositif Pedibus sur le territoire cantonal et collabore avec les communes, les écoles, la police de la prévention routière, etc. Elle sensibilise et accompagne les parents dans la création de lignes Pedibus.

 

Depuis que je travaille au Réseau Café-récits, j’ai constaté à plusieurs reprises que l’on confond la méthode des cafés-récits avec d’autres formats similaires. La différence avec d’autres méthodes de récits n’est pas claire pour de nombreuses personnes. J’aimerais donc montrer ici ce qu’est un café-récits et ce qu’il n’est pas. Je commence par ce qu’il n’est PAS.

Texte: Valentina Palluca

Un café-récits n’est pas la méthode adéquate lorsque:

  • Vous souhaitez disposer d’assez de temps pour raconter et écouter des récits fictifs.

Un café littéraire est alors ce qu’il vous faut. Dans un café-récits, on raconte des histoires autobiographiques.

  • Vous avez un problème et aimeriez trouver une solution.

Le café-récits n’a pas d’objectifs ou d’attentes. Le seul but est de donner à d’autres personnes un aperçu de sa propre histoire. Écouter ce que d’autres personnes racontent de leurs expériences permet souvent de trouver des outils pour gérer nos situations personnelles. Si votre objectif est de résoudre un problème, un groupe d’auto-entraide serait plus approprié.

  • Vous avez besoin d’une thérapie.

Cela peut sembler banal, mais ça ne l’est pas. Il ne faut pas confondre café-récits et thérapie. Les personnes qui animent un café-récits suivent un cours d’introduction à l’animation offert par le Réseau Café-récits. Elles ont de l’expérience dans l’animation de groupes d’adultes, mais elles ne sont pas des thérapeutes.

  • Vous souhaitez discuter et débattre avec d’autres personnes.

Pendant un café-récits, vous ne jugez pas ce qui est raconté, vous n’émettez aucun avis ni ne donnez aucun conseil. On n’aborde aucun sujet politique ou philosophique. L’objectif est d’échanger avec des personnes partageant la même envie d’écouter et de valoriser les petites histoires personnelles.

En résumé:

Un café-récits n’est PAS tout ce dont j’ai parlé ci-dessus. Il est bien plus: une méthode simple, rapide et à bas seuil pour réunir des personnes et leur offrir un beau moment de partage. En écoutant et en racontant nos expériences de vie, nous nous trouvons au même niveau, nos histoires sont valorisées et nous sentons que nous faisons partie d’une communauté.

Le café-récits nous donne la possibilité d’entrer en contact avec des personnes que nous n’aurions jamais croisées dans la vie quotidienne. Des personnes d’origine, de culture, de religion et d’âge différents des nôtres, mais que nous ressentons peut-être comme très semblables.

À la fin d’un café-récits, nous nous sentons plus riches et plus en accord avec les autres personnes.

Si je ne vous ai pas convaincu-es, je vous invite à vivre un café-récits de l’intérieur!

Dans l’agenda sur le site Internet, vous trouverez des cafés-récits dans votre région.

Voici un résumé des principaux événements:

  • L’association Réseau café-récits dont le siège se situe à Taverne (TI) a été fondée le 30 novembre 2022.
  • Le café-récits a été inscrit en tant qu’intervention sur la liste d’orientation PAC 2022.
  • Promotion Santé Suisse s’est déclarée prête à soutenir le Réseau café-récits pendant deux années supplémentaires dans le cadre du soutien de projets PAC.
  • Les résultats de l’évaluation externe du Réseau par Interface seront publiés dans une fiche d’information.

Vers le rapport annuel 2022

Vers tous les rapports annuels

Le 26 novembre dernier, la Bibliothèque sonore romande, à Lausanne, a réuni une douzaine de personnes pour son premier café-récits, un café-récits inclusif de surcroît, puisqu’il a réuni des personnes atteintes d’une déficience visuelle, des bénévoles de la bibliothèque ainsi que des lectrices et lecteurs. Thème du jour: «Nos histoires de lecture». Vu le succès rencontré par cette première édition, l’expérience pourrait bien se perpétuer. Les co-animatrices Pascale Ernst et Florence D. Perret, ont répondu à nos questions.

Entretien: Anne-Marie Nicole

Qu’est-ce qui vous a inspiré et motivé à organiser ce café-récits?

Le café-récits a été organisé à la Bibliothèque sonore romande (BSR), dont le public est constitué principalement de personnes aveugles. La directrice de cette bibliothèque organise une fois par mois des apéros littéraires afin de réunir les bénévoles (lecteurs et lectrices) et les personnes empruntant les livres audio. Florence ayant participé à l’une de ces manifestations à titre privé, elle a proposé le concept de café-récits à la directrice. Notre but était de susciter les récits de lecture.

Quelles histoires vouliez- vous rendre visibles?

Une première discussion avec la directrice de la BSR a permis d’échanger sur les questions que nous envisagions de poser. Elle a souhaité que nous permettions aux lectrices et lecteurs ainsi qu’aux auditrices et auditeurs d’échanger sur leurs expériences particulières. De notre côté, nous avions préparé des questions plus classiques, sur l’influence des livres dans leurs vies. Nous avons donc respecté la structure des café- récits «ordinaires» en ajoutant la dimension propre à la lecture à haute voix et à l’écoute d’un livre.

Comment avez-vous rendu votre café-récits accessible?

La présence de personnes handicapées de la vue nous a amenées à donner une place particulière à la question de la voix. Aussi, nous avons commencé le café-récits par un tour de table permettant à chacune et chacun de donner son prénom et un exemple de lecture actuelle ou récente. Cela a permis de former le cercle et donné un repère spatial aux personnes malvoyantes dans le groupe.

Quels ont été les défis et comment les avez-vous relevés?

L’animation en binôme a permis une alternance agréable dans la gestion des différentes étapes du café-récits. De même, nous avons soigneusement énuméré les règles à tour de rôle. Nous avions préparé un fil conducteur riche et varié. Durant l’animation nous avons privilégié la qualité des échanges plutôt que la quantité de questions. Aussi, nous avons adapté le rythme de l’animation en fonction des participantes et participants faisant parfois l’impasse sur certaines questions.

Vous souvenez-vous d’un moment particulièrement marquant?

Nous avions prévu une question sur l’aspect sensuel du livre et diverses personnes se sont emparées de la thématique avant que nous posions la question. Cette harmonie nous a enchantées! La plupart des personnes présentes ont montré à un moment ou à un autre leur vulnérabilité, créant des moments de grâce. Bénévoles, personnes malvoyantes et accompagnantes ont livré des moments très touchants de leur parcours, autour du livre.

Le Réseau Café-récits s’est tenu en juin 2022 au Schlossgarten Riggisberg. L’animatrice Nisha Andres raconte comment elle réunit les habitants et la population du village autour d’une table pour un échange informel par le biais de cafés-récits.

Interview: Anina Torrado Lara

Environ 270 personnes résident au Schlossgarten Riggisberg, dans un cadre idyllique.

Quel lien avez-vous avec les cafés-récits?

Nisha Andres: Nous avons mené nos premiers cafés-récits au Schlossgarten Riggisberg avant la pandémie. C’est pourquoi nous avons été particulièrement heureux d’accueillir l’atelier-débat du 2 juin 2022! J’anime moi-même des cafés-récits et je trouve cette méthode très appropriée pour se rencontrer de manière informelle et faire tomber les barrières dans les esprits.

Comment vous y prenez-vous pour cela au Schlossgarten?

L’inclusion est notre première compétence. Le Schlossgarten ne se trouve pas loin du village de Riggisberg et offre de nombreux points de départ pour nouer des liens: du magasin Eggladen au restaurant Brunne en passant par des manifestations telles que le marché de Pâques, le cinéma en plein air ou la fête de l’été, nous proposons une large palette d’offres. Notre concept vise à faire tomber les barrières. Ainsi, les élèves viennent tout naturellement aux cours de natation, certains enfants du village fréquentent notre crèche et nous proposons des produits fabriqués par nos soins sur les marchés. Malheureusement, une partie de la population éprouve des réticences à entrer en contact avec des personnes supposées différentes.

Comment les habitants peuvent-ils surmonter ces barrières dans leurs esprits?

Une de nos habitantes nous a dit une fois: «Il suffit simplement d’une phrase, d’un sourire pour faire tomber les barrières.» Nous travaillons au quotidien à promouvoir activement l’échange. Les cafés-récits sont très utiles pour cela, car ils permettent d’entretenir une communication courtoise, respectueuse et ouverte.

Qu’avez-vous retenu de l’atelier-débat?

Ce fut une très belle journée où l’inclusion a été grandement présente. Elle a réunion de nombreuses personnes intéressantes et nous avons été ravis d’entendre les interventions des invités Johanna Kohn et Gert Dressel. Des personnes sourdes accompagnées d’interprètes, des personnes en fauteuil roulant et des habitants du Schlossgarten souffrant de maladies psychiques étaient également de la partie. L’un des résidents a déclaré: «Je ne pensais pas qu’il était possible d’avoir une conversation aussi intense avec une personne sourde et muette! J’ai réalisé qu’il y avait d’autres personnes avec un handicap.»

Quel est votre conseil pour les cafés-récits?

Ne pas avoir peur de dire quelque chose de mal! Moi aussi, j’ai parfois des doutes. J’aimerais encourager les autres à assumer leur incertitude et à formuler des pensées honnêtes. Ne pas trop réfléchir, mais simplement demander: «Je ne sais pas trop comment je peux t’appeler?» ou «Est-ce que je dois regarder l’interprète ou la personne qui parle?» En tant qu’animatrice, j’ai également pour mission de dire ouvertement les choses. Il m’arrive donc parfois de demander: «Je perçois une certaine irritation en ce moment, est-ce que vous ressentez la même chose?

Le Schlossgarten Riggisberg a accueilli l’atelier-débat du Réseau cafés-récits (photo: Rhea Braunwalder)

Schlossgarten Riggisberg

Le Schlossgarten Riggisberg compte près de 270 résident-es présentant un handicap psychique et/ou physique et 350 employé-es. Les résident-es peuvent travailler dans les entreprises: à l’atelier, ils préparent des envois, emballent des documents électoraux et des bulletins de vote ou fabriquent des produits. Une entreprise horticole entretient la propriété et cultive des herbes aromatiques. La collaboration en cuisine, au restaurant ou à la fabrique de verre est également appréciée. La créativité peut être exprimée dans les ateliers, la manufacture et l’insertion professionnelle à la portée de tous.

À propos de

Nisha Andres intervient au Schlossgarten Riggisberg depuis 2016. En tant que responsable du conseil et de l’intégration, elle est l’interlocutrice des résidents et des collaborateurs qui vivent des situations difficiles. Après sa formation de commerçante de détail, elle a suivi une formation d’éducatrice sociale en cours d’emploi. Depuis 2002, elle travaille au sein de différentes institutions sociales. Elle a beaucoup d’expérience avec les personnes souffrant de troubles cognitifs, de maladies psychiques et se trouvant dans des situations palliatives.

Vous souhaitez vous aussi tester ce format interculturel (voir entretien avec Johanna Kohn)? Vous trouverez ici des recommandations pour les situations de dialogue dans les cafés-récits réunissant des personnes sourdes qui signent et des interprètes de la langue des signes suisse-allemande. 

 

Avant le café-récits:

  • Veiller à avoir une bonne luminosité. Éviter le contre-jour.
  • En fonction de la composition du groupe, être attentive ou attentif aux bruits de fond (prothèses auditives, implants cochléaires).
  • Laisser le temps et l’espace aux personnes sourdes et aux interprètes pour déterminer la meilleure disposition des sièges.
  • Ne placer une table que si c’est nécessaire.
  • Déterminer s’il est important pour le groupe de parler en bon allemand.
  • Pour attirer l’attention d’un groupe sur vous (par exemple pour commencer), vous pouvez allumer et éteindre la lumière à plusieurs reprises. Si les interprètes sont déjà présent·es/en activité, on peut aussi «appeler» normalement. Les interprètes se chargeront d’utiliser la méthode appropriée.

Pendant le café-récits:

  • Il n’est pas nécessaire de faire des pauses spécialement longues pour les interprètes. Si cela va trop vite, les interprètes interrompront la conversation et demanderont de répéter.
  • Pendant la conversation, il est essentiel de maintenir le contact visuel avec les personnes auxquelles on s’adresse, et non avec les interprètes.
  • Les interprètes en langue des signes ne sont pas impliqué·e·s activement dans la discussion. Cela signifie que les questions ne leur sont pas adressées (sauf si elles sont directement liées à la situation d’interprétation).
  • À cause de l’interprétation, les personnes communiquant en langue des signes ont un léger décalage. Voilà une situation typique que l’on rencontre dans les groupes mixtes avec interprète: une question est posée à voix haute. Dès qu’elle est terminée, les premières ou premiers participant·e·s entendant·e·s s’annoncent déjà pour répondre ou répondent, alors que, parallèlement, la question n’a pas encore fini d’être posée en langue des signes. Les personnes sourdes sont donc désavantagées et les personnes entendantes leur passent devant. Le risque est que les personnes sourdes n’aient pas la parole dans des groupes mixtes. «Donnez la parole» aux participant·e·s, pour que chacun·e puisse s’exprimer. Avant que des réponses soient données à une question, cette dernière doit avoir été traduite entièrement en langue des signes.
  • La culture sourde se caractérise par le fait que de nombreuses personnes communiquent en même temps. Il est possible que les personnes sourdes trouvent l’organisation du café-récits sous forme de récits consécutifs (monologues) inappropriée et recherchent plutôt la discussion/le feedback. Il faut définir en amont des stratégies sur la façon dont les animatrices et animateurs vont gérer cela.

Vous trouverez ici le guide complet (en allemand).

Depuis plusieurs années, Renata Schneider-Liengme anime des cafés-récits à Fribourg, en français et en allemand. Malheureusement la crise sanitaire l’a contrainte, comme beaucoup, à mettre ces rencontres entre parenthèses. Début février 2021, pour garder le lien, d’autant plus précieux en ces temps de distanciation physique, elle a proposé un format épistolaire, postal ou digital. Le thème: «Une surprise».

Renata Schneider-Liengme, qu’est-ce qui a motivé ce projet de café-récits à distance ?

La pandémie, naturellement ! Il me semble qu’une telle activité manque à beaucoup de personnes : se rencontrer, écouter les autres raconter leurs expériences, échanger… Et parce que toutes les personnes intéressées ne sont pas forcément à l’aise avec les outils numériques pour se rencontrer par écran interposé, je leur ai proposé d’utiliser l’écrit pour s’exprimer. Même si je suis consciente, que ça peut aussi freiner certaines d’entre nous. Pour ne pas les exclure, j’ai prévu la possibilité d’être lectrice « muette », tout en informant les autres participantes de leur présence. Dans mon invitation j’ai aussi proposé de retranscrire des histoires racontées par téléphone.

Pourquoi ce thème, « une surprise » ?

Je souhaitais choisir un thème « facile ». Il me semble qu’une surprise peut être facilement racontée, même sans avoir autour de soi la présence des autres participantes et participants qui inspirent nos propres histoires.

Quel accueil a reçu votre invitation à participer à ces échanges par écrit ?

Entre les e-mails et les lettres, j’ai invité 115 personnes à participer à ce café-récits à distance, dont la majorité de langue allemande. Au fin

al, j’ai pu intéresser une vingtaine de personnes, que des femmes, dont douze germanophones. La plupart des personnes qui ont répondu connaissaient déjà le format traditionnel du café-récits. Parmi les réactions, il y a eu des refus nets. Une réaction m’a particulièrement ravie : une amie, à laquelle j’ai envoyé mon invitation m’a répondu qu’elle ne saurait pas quoi me raconter, mais m’a quand même raconté lors d’une rencontre fortuite une belle petite histoire sur la surprise qu’elle a eue quand elle a appris qu’elle allait devenir grand-maman – tout en me disant, qu’elle ne participera pas…

Vous avez aussi joué le rôle l’écrivaine publique.

Oui, j’ai retranscris les récits de deux participantes : celui d’une dame très âgée à qui j’ai rendu visite chez elle pour recueillir son histoire, et celui de sa voisine qu’elle avait aussi invitée et avec qui nous avons tenu spontanément un petit café-récits en présence.

Sans nous dévoiler le secret des histoires qui vous ont été confiées, pouvez-vous nous parler des « surprises » que vous avez reçues ?

Les histoires racontées étaient aussi surprenantes que le thème. Des cadeaux de Noël ou d’anniversaire, des mauvaises et des belles surprises. J’ai pu créer un recueil de sept histoires, aussi bien en français qu’en allemand, que j’ai fait suivre aux participantes. Une histoire en allemand est malheureusement arrivée avec une semaine de retard – mais c’était une superbe surprise pour moi, parce qu’il s’agissait d’une dame qui ne connaissait ni moi ni les cafés-récits !

Comment ont réagi les participantes à réception de la compilation des histoires ?

Après l’envoi par mail des recueils, j’ai eu quelques réactions de personnes très contentes et tout aussi surprises de la collection de ces récits. J’ai apporté les documents personnellement à des dames très âgées que je connais bien et qui apprécient beaucoup le café-récits en salle.

Que gardez-vous de cette expérience ?

Je suis très contente du résultat. Mais j’avoue que cela donne beaucoup de travail ! Les personnes qui ont participé à ce projet étaient contentes, mais elles préfèrent de loin les cafés-récits en présence. Moi aussi… Pour ce qui est la suite, j’ai prévu un lieu (bien situé au cœur de la ville de Fribourg) et deux dates en mai (en allemand) et début juin (en français) pour des café-récits que j’espère vivement pouvoir animer en salle et attirer du monde…

« Ici, ailleurs, partout… Où est votre chez-vous ? » Tel était le thème du café-récits organisé début octobre au Musée Ariana, à Genève. Une quinzaine de personnes ont pris part à cette rencontre. Les échanges à propos du chez-soi, de sa signification et de son importance ont révélé la richesse et la diversité des parcours de vie.

Abrité dans un véritable palais construit à la fin du 19e siècle, le Musée Ariana est le seul musée de Suisse entièrement dédié à la céramique et au verre. Ses collections figurent aussi parmi les plus importantes d’Europe. Mais quel est donc le lien entre des créations de céramique et de verre et le chez-soi, vous demanderez-vous. En fait, ce café-récits est l’aboutissement d’un travail de fin de formation en médiation culturelle réalisé par Kerstin Lau, médiatrice culturelle et animatrice de cafés-récits. Selon elle, la médiation culturelle peut prendre des formes multiples, qui répondent à des besoins de participation culturelle et d’ouverture des institutions culturelles à des groupes de population spécifiques divers. Les cafés-récits s’inscrivent dans ce même esprit : faciliter les rencontres, favoriser les échanges entre des mondes souvent étrangers les uns aux autres, dissiper les réticences et les appréhensions des contacts avec les autres.

Une fois n’est pas coutume, ce café-récits a commencé par une courte visite guidée du musée et des objets du quotidien qui y sont exposés, en l’occurrence des théières. Cette brève incursion dans l’univers du thé, boisson universelle, objet d’un cérémonial dans certains pays, a été l’occasion pour les participant·e·s d’évoquer des souvenirs plutôt touchants : ici le service à thé de la grand-mère qu’on ne sortait que le dimanche et dont on admire encore aujourd’hui la finesse de la porcelaine, là le thé qu’on ne buvait que quand on était malade, là encore la tasse de thé partagée pour se donner le temps de la réflexion avant l’achat d’une maison – un chez-soi pour la vie…

Le chez-soi est-il nécessairement un lieu?

Mais qu’est-ce que le chez-soi ? Une question que Kerstin Lau se pose depuis longtemps, elle qui a ses racines en Allemagne où elle a grandi et où elle a encore sa famille et ses amis, une question qu’elle a souhaité partager dans le cadre de ce café-récits. « Le chez-soi est-il un lieu, un pays en particulier ? Ou alors le chez-soi est-il associé à des personnes, des souvenirs, des couleurs, des saveurs, des odeurs ?

Avec Kerstin Lau, nous avons animé cette rencontre en tandem. Pour ouvrir la parole, nous avions convié deux « témoins » : Laurence et Jean-Charles. Laurence, qui a quelques ports d’attache mais pas de véritable chez-soi, se définit comme une nomade. En évoquant cette existence vagabonde, le fait de raconter et de mettre des mots sur son vécu, Laurence s’est rendue compte que son choix de vie avait ses racines dans son enfance et dans l’histoire familiale. Quant à Jean-Charles, il pourrait aisément incarner la sédentarité et la stabilité. Âgé de 70 ans, il vit dans la commune où il est né. S’il a parfois déménagé, ça n’était jamais bien loin, et ses foulées de coureur à pied l’ont toujours ramené dans sa campagne natale, là où ses parents et ses grands-parents avaient déjà leurs racines.

Lorsqu’on est privé de chez-soi

Les récits se sont ensuite enchaînés, révélant des parcours de vie riches et différents et montrant combien la conception du chez-soi comme un lieu dans lequel on se sent bien peut varier d’une personne à l’autre : la chaleur d’un feu de cheminée, les rayons de soleil qui entrent par la fenêtre, une BD et un bon whiskey, la vue sur les arbres, une architecture adaptée, un lieu à soi, des liens plutôt qu’un lieu… Pour d’aucuns, le chez-soi est aussi à rechercher à l’intérieur de soi-même. Des situations exceptionnelles comme la crise sanitaire liée au Covid-19 nous obligent par ailleurs à repenser le chez-soi. Parfois, ce sont les circonstances de la vie qui nous font prendre conscience de l’importance du chez-soi, surtout lorsqu’on en est privé, comme l’a raconté un participant. Sans domicile fixe durant une année, il a vécu à droite à gauche, partout là où on voulait bien l’accueillir. Aux personnes présentes, il a raconté son expérience, le sentiment de déracinement et d’insécurité. Avec beaucoup d’émotion, il dit avoir pris la mesure des difficultés auxquelles sont confrontées, notamment, les personnes migrantes et les sans-abri.

Ce café-récits a été très apprécié des participant·e·s. Les échanges se sont déroulés avec beaucoup de respect, d’empathie et d’écoute bienveillante. Fort de cette belle première expérience, le Musée Ariana a décidé d’organiser d’autres cafés-récits dès l’année prochaine.

Texte et photo : Anne-Marie Nicole

La série de cafés-récits conduits au Centre socioculturel de Prélaz-Valency, à Lausanne, a connu son épilogue le 11 septembre dernier, avec le vernissage du livre « Autour du centre – Dictionnaire de jeunes de Prélaz-Valency ». Il est le fruit de plusieurs mois d’échanges entre les adolescent·e·s autour de leur vie au centre et de leurs liens avec le quartier.

Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler dans ces pages, l’aventure des cafés-récits au Centre socioculturel de Prélaz-Valency a commencé il y a une année, en octobre 2019. Durant les mois qui ont suivi, six rencontres ont réuni dix-huit adolescent·e·s qui fréquentent le centre. Ils ont parlé de leur vie dans ce lieu important pour eux, ainsi que des liens qui les unissent les uns aux autres. À la fin de chaque rencontre, le thème de la suivante était décidé d’un commun accord. « La seule condition pour participer était la régularité de la présence et le respect face aux propos exprimés par les autres », rappelle Daniela Hersch, recueilleuse de récits de vie et animatrice de cafés-récits.

L’idée de produire une publication est née dès le début du projet. « La production du livre a été un élément motivateur et valorisant pour les jeunes », souligne Daniela Hersch. Dès lors, avec l’accord des jeunes, les échanges ont été enregistrés, puis retranscrits. Les écrits qui en sont ainsi ressortis ont donné lieu à des débats animés entre les protagonistes sur les mots et les anecdotes qu’on peut écrire ou non dans un livre. La relecture partagée des textes a aussi réveillé chez les uns ou les autres de nouveaux souvenirs et permis ainsi de nouveaux partages.

La démarche choisie par Daniela Hersch et Franco De Guglielmo, animateur au centre socioculturel, a fait quelques va-et-vient entre la forme collective des récits de vie telle que pratiquée dans les cafés-récits et l’approche plus individuelle du recueil des histoires de vie. L’une et l’autre de ces approches visent à offrir un espace de parole convivial, rassurant et bienveillant.  À partir des échanges parfois chaotiques et décousus, et face à la grande diversité des thèmes abordés, il n’a pas été facile de dérouler un fil rouge d’une rencontre à l’autre. Comment, dès lors, rendre au mieux la parole des jeunes ? Le choix s’est arrêté sur la forme d’un dictionnaire, un abécédaire où se croisent les portraits des jeunes et les questions qui leur tiennent à cœur.

« Le processus de création de ce livre a été marqué par des discussions vives, des remises en question et des doutes, mais aussi par le partage, des rires, la découverte de nouvelles compétences et finalement la fierté d’avoir réalisé ensemble ce bel objet », a conclu Daniela Hersch, à l’occasion du vernissage. Et c’est en effet avec une fierté toute légitime que les adolescent·e·s ont raconté le déroulement du projet et la naissance du livre aux habitants du quartier et aux invités réunis pour l’occasion.

« Autour du centre – Dictionnaire de jeunes de Prélaz-Valency » est le fruit d’un projet imaginé par Franco De Guglielmo, animateur socioculturel, et Daniela Hersch, recueilleuse de récits de vie et animatrice de cafés-récits. La mise en page de l’ouvrage a été confiée à Raphaël Fachadas et les photos ont été réalisées par Lucie Delacrétaz.

Le livre est en vente dans les librairies Basta! et Payot à Lausanne, ou directement auprès de Franco De Guglielmo (franco.de-guglielmo@fasl.ch) au prix de 20 francs.

 

Avez-vous aussi déjà fait l’expérience de cafés-récits qui associent l’oralité des échanges à la production d’un écrit? Si tel est le cas, nous serions heureux d’en rendre compte dans ces pages. Faites-en nous part à l’adresse info@cafe-recits.ch.

Le centre d’animation des Bossons Plaines du Loup est situé au cœur d’un quartier populaire multiculturel situé au nord de Lausanne. Il propose aux habitant·e·s un lieu d’animation et d’échange, avec une large gamme d’activités. L’animatrice socioculturelle Silvana Annese a lancé au début de cette année une série de cafés-récits, avec la complicité de Daniela Hersch, recueilleuse de récits de vie et animatrice de cafés-récits. Si la pandémie du coronavirus a mis un frein au bel élan initié par une première rencontre à fin février 2020, elle n’a pas entamé l’enthousiasme des deux femmes. Un deuxième café-récits a eu lieu au début de l’automne. Et d’autres rencontres sont d’ores et déjà planifiées.

Silvana Annese, qu’est-ce qui vous a incitée à organiser des cafés-récits dans un lieu pourtant déjà bien animé et occupé ?

Silvana Annese – Les personnes qui fréquentent notre centre d’animation socioculturelle y viennent souvent pour « faire quelque chose » : des jeux, de la cuisine, des cours de français ou simplement accompagner leurs enfants pour des activités. Pendant ces moments, souvent sur le pas de la porte, il y a des discussions informelles intéressantes qui s’engagent. Nous avons pensé que des moments de conversation plus structurés tels que des cafés-récits pouvaient favoriser des échanges plus approfondis. De plus, la présence d’animatrices et animateurs socioculturels formés permet d’instaurer des espaces de parole dans lesquels les gens se sentent en confiance.

Quel est le public que vous voulez toucher ?

Ces rencontres s’adressent aux personnes qui fréquentent régulièrement le centre. Mais comme ce lieu est ouvert à toutes et tous, ce projet touche également l’ensemble des habitant·e·s du quartier particulièrement marqué par la mixité sociale et générationnelle. Lors de notre premier café-récits, en février, il y avait surtout des grands-parents et des mamans venant de Suisse romande, de Suisse alémanique et de plus loin, au-delà de nos frontières.

Quels sont les objectifs que vous poursuivez avec les cafés-récits ?

L’objectif premier est sans doute de créer le lien social et d’offrir un espace de parole pour celles et ceux qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer. Il s’agit également de remettre en question certaines idées reçues et d’instaurer un rituel de rencontre et de partage pour des personnes souvent très occupées dans leur vie quotidienne. Nous visons également l’autodétermination des participant·e·s. En effet, si nous avons proposé le thème du premier café-récits, qui portait sur les jeux de l’enfance, ce sont désormais les participant·e·s qui choisissent les thèmes des rencontres d’un commun accord et qui en font la promotion auprès de leurs voisins et connaissances. Dans le même esprit d’autonomisation et de partage, chacune et chacun apporte quelque chose pour le goûter qui suit le moment plus formel du café-récits, goûter que nous partageons avec les enfants qui ont, eux, participé à d’autres activités du centre.

Après une pause forcée en raison de la crise sanitaire, vous avez repris les diverses activités au centre. Comment s’est déroulé le deuxième café-récits ?

Nous avons en effet organisé un deuxième café-récits avec Daniela, en tandem, sur le thème « Au boulot – Mes premières expériences de travail ». Cinq personnes étaient présentes. Dans le contexte actuel, et dans le cadre du quartier des Bossons, je pense qu’un maximum de neuf personnes, y compris l’animatrice, est un nombre idéal. Même si certaines personnes ne maîtrisent pas très bien le français, elles ont pu s’exprimer sans être interrompues et ont bénéficié de toute l’attention des autres.

Et la suite ?

D’entente avec les participant·e·s, le prochain café-récits aura lieu à la fin du mois d’octobre sur le thème des voyages. Désormais, j’animerai seule ces cafés-récits.

 

Un café-récits dans mon quartier?

Si vous souhaitez proposer un café-récits dans votre maison de quartier ou votre centre d’animation socioculturelle, le Réseau Café-récits vous apporte volontiers son aide pour l’organisation et l’animation. N’hésitez pas à nous contacter: info@cafe-recits.ch