Oriana Togni est assistante sociale chez ProSenectute. Outre son activité au sein de «Cine…ma» à Gordola, elle organise et anime également des cafés-récits en essayant de répondre aux intérêts et aux souhaits des participant-es.

Texte: Valentina Palluca

Pourquoi avez-vous décidé de proposer des cafés-récits à vos hôtes?

Oriana Togni: L’idée nous est venue après avoir entendu parler du Réseau Cafés-récits (Pour-cent culturel Migros). Nous avons pensé que ce type de projet pouvait être proposé dans le cadre du point de rencontre social du quartier. Nous disposons ici d’un lieu où nous nous efforçons de créer des contacts, des rencontres et de la cohésion sociale.

Qui participe à vos cafés-récits?

Ils sont ouverts à tou-tes! La plupart des participant-es sont des retraité-es, car les cafés-récits ont généralement lieu l’après-midi. Pour les seniors, il est très enrichissant de participer à un tel moment d’échange et de dialogue, car il leur donne la possibilité de rencontrer des gens, de nouer des contacts et de rompre l’isolement social. Il leur permet d’aborder différents thèmes en même temps et de se tenir au courant.

Quels sont les thèmes les plus populaires?

En 2022, nous avons organisé sept cafés-récits dans la maison de quartier Cine…ma à Gordola. Les thèmes abordés allaient de sujets sociétaux, économiques, culturels et environnementaux à des moments informels liés à des histoires du passé.

Le café-récits sur le thème du «chemin de l’école» organisé en collaboration avec l’association Pedibus a rencontré un grand succès. À cette occasion, les participant-es se sont remémoré leurs souvenirs et ont raconté des expériences de leur enfance. Les gens apprécient tout ce qui a trait au passé. C’est agréable de faire revivre des souvenirs, des émotions et des évènements!

Y a-t-il un moment qui vous a particulièrement marquée?

J’ai été particulièrement frappée par un café-récits sur le thème de la migration. J’ai été agréablement surprise de voir à quel point les participant-es étaient sensibles à ce sujet. Tous les membres du groupe ont été capables de faire preuve de sensibilité, d’empathie et d’ouverture envers les autres, indépendamment de leur origine culturelle, de leur classe sociale, de leur sexe ou de leur appartenance ethnique. On constate vraiment que l’on ne cesse jamais d’apprendre des autres dans ces moments-là.

Que conseilleriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait s’essayer à l’animation de cafés-récits?

Je lui recommanderais vivement de se lancer. C’est une belle surprise de voir les différents points de vue qui émergent au fil des récits et qui mettent parfois en lumière des perspectives auxquelles on n’avait jamais songé auparavant. En plus, la discussion implique les gens et les relie indirectement, ce qui crée une sorte de cohésion sociale. C’est un aspect que nous essayons de renforcer chaque jour dans le cadre de notre travail.

CINE…ma à Gordola

La maison de quartier CINE…ma di Gordola est un projet de ProSenectute. Il s’agit d’un lieu ouvert, à la disposition des personnes des alentours. Elle propose non seulement les services habituels d’une maison de quartier, mais elle se veut également un lieu d’écoute, de rencontre et d’échange. Ce projet permet de promouvoir l’intergénérationnalité et l’intégration sociale.

L’atelier-débat annuel a eu lieu à Olten le 20 mars 2023. Après la réunion, nous avons fêté ensemble la sortie du livre Cafés-récits: un aperçu pratique et théorique.  L’équipe café-récits est venue de toutes les régions du pays pour discuter avec les participant-es du thème suivant: le récit biographique peut-il contribuer à la construction de la paix?

Les intervenantes principales de cette journée étaient l’activiste pour la paix Lea Suter et la sociologue Kristin Thorshaug.

Photo: zVg

Lea Suter a ouvert des pistes de réflexion sur le dialogue autour de la guerre et de la paix, mais aussi sur l’impact des mots sur notre façon de voir le monde. Elle travaille depuis 2011 dans le domaine des relations internationales, d’abord pour les Nations Unies à Genève, puis pour le think tank de politique étrangère foraus et l’association Suisse-ONU. En 2017, elle a lancé le blog PeacePrints, sur lequel elle publie des reportages sur la paix réalisés dans des zones de guerre. Lea Suter est médiatrice de la paix et travaille depuis 2023 en tant que responsable de programmes dans le domaine du pluralisme au sein du jeune Think+Do Tank Pro Futuris, pour lequel elle développe des formats de dialogue pour freiner la polarisation de la société suisse.

 

Photo: Interface

Kristin Thorshaug a évalué le format et le Réseau café-récits sur mandat de Promotion Santé Suisse. Elle est arrivée à la conclusion que la participation aux cafés-récits renforce la participation sociale ainsi que certaines compétences de vie importantes lorsque l’on vieillit. Elle a étudié la sociologie en Norvège et possède un CAS en compétences dans les domaines de la diversité et de l’égalité. Chez Interface centre de recherche et de conseil en sciences politiques, elle réalise des évaluations et des analyses sur des mesures visant à promouvoir l’égalité des chances, l’intégration et la participation sociale.

 

Ensuite, les participant-es ont pu participer à des cafés-récits découverte en trois langues et à des travaux de groupe interactifs.

Un livre à succès

Après la conférence, nous avons trinqué ensemble à la parution du recueil Cafés-récits: un aperçu pratique et théorique. Les trois éditrices, Gert Dressel, Johanna Kohn et Jessica Schnelle, se sont réjouies de pouvoir clore ce projet qui s’est étalé sur deux ans et a inclus de nombreuses et nombreux participant-es d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse avec ce beau résultat. Le livre peut être acheté à un prix exceptionnel de 25 CHF auprès de Johanna Kohn.

Quelques échos

Rhea Braunwalder, Projektgestalterin

«Cela m’a fait plaisir de revoir des visages connus et aussi d’en découvrir de nouveaux. Le réseau réunit des personnes d’horizons très divers qui se lancent ensemble dans l’organisation minutieuse et passionnée de cafés-récits. Lorsque tant de personnes motivées sont réunies à l’occasion de cet atelier, toutes repartent inspirées et prêtes à se lancer dans la création de cafés-récits dans leurs régions respectives. »
Rhea Braunwalder, co-directrice de l’association Réseau café-récits

 

Photo: GiM

«D’un côté, on écoute et de l’autre, on est écouté, pris en compte. Cela suscite la confiance et l’intérêt pour l’autre.»
Ursula Gull, participante venue de Trüllikon 

 

 

«Si l’on veut écouter, dans une optique de compréhension de l’autre ou de dialogue, il faut aussi des personnes qui racontent. C’est dans l’écoute que réside le pouvoir de reconnaître les besoins des gens. Être vu est le premier pas vers une cohabitation pacifique, ce que je considère comme un processus.»
Jessica Schnelle, participante venue de Constance

 

Présentations et documentation

Nino Züllig a émigré très jeune de la Géorgie vers l’Allemagne. Depuis 2014, elle vit à Bâle et y travaille en tant qu’interprète. L’animatrice a organisé des cafés-récits interculturels avec l’EPER deux Bâle. Des personnes originaires d’Ukraine et de Géorgie y ont parlé de leur pays et de leur vie en Suisse.

 

Te souviens-tu de ton premier café-récits?

Nino Züllig: Oui, bien sûr! Dans le cadre du projet «Âge et migration», l’EPER deux Bâle souhaitait proposer des cafés-récits à des personnes âgées immigrées. Cela faisait longtemps que j’interprétais pour l’EPER et ils savaient donc que je parlais russe. C’est au printemps 2022 que j’ai animé mon premier café-récits. Des réfugiées ukrainiennes et un couple de Géorgiens de ma connaissance sont venus.

Pourquoi avez-vous choisi la langue russe pour ce café-récits?

De nombreux Ukrainien-nes sont bilingues et parlent le russe en plus de l’Ukrainien, leur langue maternelle. En Géorgie, ce sont généralement les personnes âgées qui peuvent encore s’exprimer en russe. Le russe s’est donc imposé comme notre langue commune.

Comment une Ukrainienne ressent-elle un café-récits en russe?

J’étais consciente que je devais être très prudente en proposant un café-récits interculturel en russe. On ne peut pas ignorer la politique. Normalement, un café-récits est un moment détendu et agréable. Dans mes cafés-récits, la guerre est toujours présente. En tant qu’animatrice, je dois faire preuve de beaucoup de tact pour que la discussion reste calme et paisible et que les gens se sentent à l’aise, ceux qui aiment parler russe, tout autant que ceux qui n’aiment pas cette langue. Je pense qu’on m’accepte mieux parce que je suis originaire de Géorgie et que je comprends les deux parties.

Quel conseil donnerais-tu?

Il arrive souvent qu’une Ukrainienne reçoive un message de son mari à la guerre pendant le café-récits et soit donc distraite. Je comprends qu’elle ait alors l’envie d’en parler. En tant qu’animatrice, je dois y répondre et l’accepter, tout en revenant ensuite au sujet principal. Le café-récits doit être un lieu de détente où l’on peut parler d’autre chose. Mon conseil aux animatrices et animateurs: changer de sujet lentement et prudemment.

Quels sont tes thèmes favoris?

Le premier thème que j’ai choisi était «Moi, en Suisse». Les membres du groupe ont réfléchi à leur ressenti, à leur passé et aux difficultés auxquelles ils devaient faire face. J’ai ensuite mis le doigt sur un autre sujet: «Vivre bien et à moindre coût en Suisse». Cela a donné lieu à un échange d’expériences rempli d’idées. Ensuite, lorsque j’ai pris un rythme normal, j’ai aussi choisi des thèmes plus joyeux comme «Beau et à la mode».

Ce sont surtout les personnes de 55 ans et plus qui participent à ton café-récits, qu’est-ce qui leur pose le plus de problèmes?

La langue allemande est la problématique principale. Les personnes âgées n’apprennent plus aussi facilement. Plus on vieillit, plus la migration est difficile. On arrive dans un endroit où l’on ne parle pas la langue, où l’on ne connaît pas la culture: on va au-devant de l’inconnu. J’organise ces cafés-récits avec mon cœur, parce que je comprends bien les préoccupations des gens.

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris?

À chaque fois, il y a des moments révélateurs. Quel que soit l’endroit où les gens ont grandi, certaines choses sont identiques partout. Une fois, nous avons organisé un café-récits avec des personnes originaires de Suisse, d’Ukraine et de Géorgie. Nous avons alors réalisé que lorsqu’ils étaient enfants, ils jouaient aux mêmes jeux et aimaient manger les mêmes choses. En résumé: le monde est petit et nous ne sommes pas si différents les uns des autres.

 

Interview: Anina Torrado Lara

Légende de la photo: Nino Züllig a choisi le thème de la confection de biscuits pour son café-récits.

Personnel

Nino Züllig a étudié l’allemand en Géorgie et s’est installée très jeune en Allemagne. En 2014, elle a suivi son mari à Bâle. Elle travaille comme interprète interculturelle et organise régulièrement des cafés-récits. Pendant son temps libre, elle aime se promener dans la nature sauvage avec sa famille.

Cafés-récits interculturels

Depuis 2022, le bureau de l’EPER deux Bâle propose des cafés-récits dans le cadre du projet «Âge et migration». Six médiatrices et médiateurs interculturels se sont formés auprès de Johanna Kohn et proposent depuis lors des cafés-récits dans différentes langues. Les cafés-récits vont se poursuivre cette année. Ils sont thématiquement liés à d’autres offres d’«Âge et migration deux Bâle».

Entre juin et décembre 2022, à la demande de la Ville de Genève, j’ai animé une dizaine de cafés-récits avec des résidentes et résidents vivant en établissement médico-social. Une expérience humaine riche, qui demande plus qu’ailleurs une capacité d’adaptation et de la créativité face à l’imprévu.

Anne-Marie Nicole

«Qu’allez-vous nous raconter aujourd’hui?» Cette question m’est immanquablement adressée lorsque je suis appelée à animer un café-récits avec des personnes âgées vivant en établissement médico-social (EMS), avant même que j’aie eu le temps de leur expliquer l’idée et le déroulement du café-récits auquel elles ont été conviées. Et immanquablement je leur réponds, avec un large sourire que j’espère avenant et rassurant: «Ce n’est pas moi, mais c’est vous qui allez raconter!», suscitant l’étonnement chez nombre d’entre elles. Cette entrée en matière me laisse penser que parler de soi et de son vécu, en EMS, est davantage réservé aux discussions en tête-à-tête ou à l’intimité de la chambre.

À la demande du Département de la culture et de la transition numérique (DCTN) de la Ville de Genève, des cafés-récits ont été proposés à des clubs de seniors et des établissements médico-sociaux (EMS), en marge de la promotion du site internet mirabilia.ch. L’objectif était de faire connaître cette nouvelle plateforme numérique à un public de seniors et de les sensibiliser à la richesse du patrimoine des musées et institutions culturelles de la Ville. Ainsi, entre juin et décembre 2022, quinze cafés-récits ont été organisés, la plupart en EMS, sur des sujets s’inspirant des thèmes de mirabilia.ch, en l’occurrence celui du voyage.

Mieux se connaître… même si on se connaît déjà

De façon générale, et même si leur plaisir de participer n’était pas toujours très manifeste de prime abord, les résidentes et résidents des EMS ont particulièrement apprécié ces moments de conversation respectueuse et d’écoute bienveillante. Si ces rendez-vous n’ont pas pleinement répondu à l’objectif de promotion du site mirabilia.ch, ils ont permis aux participant·es de s’exprimer, de se raconter, de se découvrir et de mieux se connaître, quand bien même ils se côtoient au quotidien.

Surtout, les cafés-récits ont (re)donné à chacune et chacun une place singulière et une identité individuelle dans le collectif, et valorisé leurs récits personnels avec d’autant plus de force que tout le monde écoutait attentivement, sans interrompre, sans commenter, sans juger. «Contrairement à d’habitude, ils se sont écoutés les uns les autres, sans se couper la parole ni se contredire», a remarqué une professionnelle d’un établissement. Les règles de discussion qui président aux cafés-récits, et qui peuvent paraître évidentes, prennent ici toute leur importance.

Adaptation et créativité

L’animation de cafés-récits avec des personnes âgées dont les capacités fonctionnelles, cognitives ou sociales déclinent pose aussi des défis particuliers. Il faut alors avoir la capacité de s’adapter aux imprévus et faire preuve de créativité «pour s’écarter du déroulement méthodologique prévu et y revenir lorsque cela représente un bénéfice pour les participant·es en termes de reconnaissance, d’expérience et d’interactions entre eux», comme le souligne Johanna Kohn, professeure à l’Institut d’intégration et de participation de la Haute école de travail social du nord-ouest de la Suisse et membre de l’équipe du Réseau Café-récits Suisse*.

Outre les va-et-vient de soignant·es dans l’espace réservé au café-récits, ici pour administrer un médicament à heure fixe, là pour accompagner une résidente à sa visite médicale, ailleurs encore pour intégrer dans le groupe un résident qui avait fait une sieste prolongée, des ajustements sont nécessaires en permanence. Les plus fréquents ont porté sur les quatre points suivants:

  • Le rythme: avec l’âge, le rythme ralentit. Il convient donc d’adapter la façon dont on s’adresse aux personnes, de leur laisser le temps d’intégrer la question, de chercher leurs mots pour s’exprimer, de reformuler si nécessaire, de simplifier aussi les questions.
  • Le fil rouge: le fil rouge du café-récits est parfois difficile à maintenir, tant du point de vue thématique, car les résident·es ont aussi besoin d’aborder des préoccupations de leur quotidien, que chronologiques, car il est plus difficile pour eux de se raconter au présent, voire de se projeter dans l’avenir.
  • La prise de parole: plus que d’autres publics, les personnes âgées qui ont participé aux cafés-récits en EMS ont eu, me semble-t-il, davantage de peine à prendre spontanément la parole. Dès lors, un tour de table en début de rencontre, afin que chacune et chacun puisse donner son prénom et faire entendre sa voix au moins une fois, a permis d’instaurer un climat de confiance et, ensuite, de solliciter par leur prénom les personnes qui semblaient vouloir s’exprimer mais qui n’osaient pas prendre la parole sans y avoir été invitées.
  • L’audition: de nombreuses personnes âgées rencontrent des problèmes d’audition. Il est donc important de parler fort et lentement. Malheureusement, cela ne suffit pas toujours, créant parfois des frustrations et de l’agacement dans le groupe. Dans un établissement, un résident atteint de troubles auditifs a été équipé d’un casque amplificateur de son, relié à un micro. De façon très naturelle, le micro est devenu un «bâton de parole», dont se sont emparés, chacune à son tour, les personnes qui souhaitaient raconter.

L’émotion a aussi eu toute sa place dans ces rencontres en EMS, que ce soit avec des rires ou des larmes. «De nouveaux liens se sont tissés entre des personnes qui avaient des points communs dans leurs histoires de vie mais qui l’ignoraient», a rapporté, quelques jours plus tard, une professionnelle présente au café-récits. «Une sorte de complicité s’est instaurée entre les personnes qui ont participé, avec le sentiment d’avoir vécu ensemble quelque chose de particulier.»

*Johanna Kohn, «EB Erwachsenenbildung. Vierteljahresschrift für Theorie und Praxis», Cahier 4, 66e année, 2020, édité par Katholischen Erwachsenenbildung Deutschland –Bundesarbeitsgemeinschaft e. V.

 

Autrice: Anne-Marie Nicole
Photo: image d’illustration

Le Réseau Café-récits suisse devient une association. L’équipe de projet actuelle continuera de soutenir la diffusion de cafés-récits animés avec soin.

Le Réseau Café-récits Suisse a été lancé en 2015 par le Pour-cent culturel Migros et la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse. Ces dernières années, il est devenu un réseau national de personnes qui se laissent inspirer par la méthode du café-récits.

Le Pour-cent culturel Migros renforce la cohésion sociale. Il se confronte continuellement aux développements sociétaux actuels et crée des incitations à agir qui sont limitées dans le temps. Le Pour-cent culturel Migros a étroitement accompagné le Réseau Café-récits durant la phase pilote et la mise en place.

Désormais, le Réseau Café-récits va poursuivre son développement en devenant une association indépendante gérée par un nouvel organisme responsable. Afin de garantir la viabilité du réseau, le Pour-cent culturel Migros continuera de l’accompagner pendant les années 2023 et 2024.

Rhea Braunwalder et Marcello Martinoni vous informeront volontiers personnellement sur les changements:

le lundi 5 décembre, de 12 h 30 à 13 h 30 sur Zoom.

Nous serions heureux que vous continuiez à soutenir le réseau sous sa nouvelle forme. En cas de questions, Marcello Martinoni (en italien), Anne-Marie Nicole (en français) et Rhea Braunwalder (en allemand) se tiennent à votre disposition.

Le 26 août 2022, 20 animatrices et animateurs se sont réunis à la «Haus der offenen Jugendarbeit» de la ville de Wil pour un moment d’échange et de réflexion. Les thèmes de la journée étaient le racisme et les cafés-récits avec les jeunes. Une rétrospective de Rhea Braunwalder.

Photo: màd
Texte: Rhea Braunwalder

Comment le lieu a-t-il été choisi?

Un groupe très actif d’animatrices et d’animateurs s’est constitué à Wil il y a environ un an, à l’initiative du service de l’intégration de la ville. Dans le cadre des semaines d’action contre le racisme (mars 2022), plusieurs cafés-récits ont été organisés à Wil sur le thème «Appartenir». Il s’agissait d’histoires autour du sentiment d’appartenance, non seulement à un pays, mais aussi à des groupes d’amis, des associations ou des familles. Comme je sentais beaucoup d’énergie et de motivation chez les animatrices et animateurs, il était clair pour moi que l’intervision de cette année devait avoir lieu ici. J’ai demandé à Jara Halef qui s’occupe de l’animation auprès de la jeunesse de Wil, si elle pouvait mettre une salle à notre disposition.

Comment s’est déroulée la journée?

Nous avons commencé la matinée par une table ronde avec nos hôtes, Jara Halef (animatrice socioculturelle à Wil) et Katarina Stigwall (directrice et conseillère au bureau de consultation contre le racisme et la discrimination de l’EPER). Les deux intervenantes ont donné un aperçu de leur travail. Elles se sont accordées sur le fait que parler du racisme, quel que soit le cadre, est assez difficile. «Il faut beaucoup de temps pour que les gens aient le courage de venir au bureau de consultation», explique Katarina Stigwall. En revanche, le café-récits permet de se retrouver dans un cadre protégé. Lors de celui qu’a organisé Jara Halef, quelques jeunes ont raconté comment ils ne se sentaient pas intégrés.

Après la table ronde, nous avons partagé un repas, ce qui a laissé beaucoup de temps pour des discussions individuelles. Les animatrices et animateurs ont discuté de leurs prochains cafés-récits. Ils ont pu découvrir des idées de thèmes et de questions et ont partagé leurs propres histoires de vie.

L’après-midi, nous avons abordé plus en détail des cas individuels en utilisant l’intervision en petits groupes. Des questions telles que «Que faire lorsque des personnes tirent des conclusions négatives de leurs expériences?» et «Comment gérons-nous les journalistes et leurs reportages sur nos cafés-récits?» ont fait l’objet d’intenses discussions.

Qu’ai-je retenu de cette journée?

Les animatrices et animateurs se sont montrés très intéressés par le thème des jeunes et du racisme. Je retiens qu’une bonne animation n’est pas uniquement liée aux compétences dans ce domaine précis: plus nous sommes sensibilisés aux thèmes de la diversité et plus nous pouvons nous mettre à la place de nos narrateurs, comprendre leurs sentiments et leur univers et plus nous pouvons être sensibles dans notre façon d’animer. Il me tient donc à cœur d’aborder la diversité en termes de genre, de sexualité, d’origine et de capacités psychiques et physiques au sein du réseau.

 

Portraits

Katarina Stigwall est responsable du bureau de consultation contre le racisme et la discrimination de l’EPER et a développé un jeu de cartes qui incite à la réflexion sur le racisme au quotidien. Sur un côté sont inscrites des phrases qui, à première vue, paraissent tout à fait neutres; de l’autre, les phrases sont contextualisées sur le plan historique et social acquérant ainsi une autre signification. Le jeu de cartes peut servir de base de discussion lors d’ateliers. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à contacter le bureau de conseil.


Jara Halef est animatrice socioculturelle à Wil. Elle apprécie le contact informel et décontracté avec les jeunes, sans attentes ni pression de performance.

L’idée du projet vient de Lorenza Campana, bénévole engagée dans deux projets du Pour-cent culturel Migros: Café-récits et TaM – Tandem au Musée, qu’elle a imaginé combiner le temps d’une après-midi. À cette époque, la fondation Lindenberg accueillait une exposition de sculptures de l’artiste tessinoise Veronica Branca Masa, intitulée «Frammento infinito».

 

Auteures: Valentina Pallucca Forte et Lorenza Campana

  • COMMENT LE CAFÉ-RÉCITS EST-IL NÉ?

Il est né d’une idée de Lorenza: le temps d’une après-midi, réunir des personnes voyantes et malvoyantes/aveugles et leur offrir des sensations similaires lors d’une visite tactile du musée. Nous avons eu la chance de pouvoir toucher les sculptures, en présence de la sculptrice, qui a fortement contribué à rendre cette après-midi passionnante par les anecdotes et détails racontés sur ses œuvres. Afin de permettre à l’ensemble des participant-es de vivre la même expérience, les personnes voyantes ont reçu un masque occultant la vue à mettre sur les yeux. Cette expérience tactile a été accompagnée d’un café-récits sur le thème du toucher.

L’organisation de l’événement a impliqué le travail conjoint de différentes parties: le réseau Café-récits, Tam, le centre de jour Casa Andreina et la fondation Lindenberg. Le résultat fut une après-midi à la fois légère et enrichissante pour toutes les personnes présentes, une expérience à refaire.

  • QUEL THÈME AVEZ-VOUS CHOISI?

Le café-récits s’est tenu à l’issue de la visite tactile de l’exposition de sculpture. Le thème choisi était «Con-tatto», un jeu de mot en italien faisant référence à la fois au contact (contatto) et au sens du toucher (tatto), mais également au tact (tatto) et au respect envers autrui. L’événement avait également pour but d’inciter les participant-es à partager leurs expériences sur le thème du contact, du toucher. Quels changements sont intervenus au fil des ans, en particulier depuis l’apparition du Covid-19? Quelles ont été leurs stratégies pour maintenir le contact en période de pandémie? Quel contact particulièrement important a marqué notre vie? Le café-récits s’étant tenu juste après la visite du musée, cela a surtout donné lieu à un échange entre les participant-es autour de leurs sensations et émotions ressenties lors de la visite. Il nous a semblé, avec Lorenza, important d’accorder suffisamment de place à cette volonté de partager car, comme les participant-es l’ont confié, cela n’arrive pas souvent de pouvoir vivre une telle expérience dans un musée.

  • QUI A PARTICIPÉ?

Notre objectif était de faire participer le public du centre de jour Casa Andreina – Unitas, soit des personnes aveugles, malvoyantes et voyantes, ensemble. Nous pouvons dire que nous avons réussi: six personnes malvoyantes/aveugles et six personnes voyantes ont participé.

  • À QUELS OBSTACLES AVEZ-VOUS DÛ VOUS PRÉPARER? QUELS ÉTAIENT LES DÉFIS ET COMMENT Y AVEZ-VOUS FAIT FACE?

Nous avons repéré les lieux avec Lorenza Campana à la fondation Lindenberg avant de déterminer le placement des chaises pour le café-récits. Nous avons choisi un coin plat, sans marches, avec les chaises déjà disposées en cercle et prêtes à accueillir les participant-es.

  • VOUS SOUVENEZ-VOUS D’UN MOMENT PARTICULIÈREMENT BEAU?

Pendant le café-récits, un participant aveugle de naissance a raconté comment il percevait les couleurs: chacune est associée à une mélodie (le rouge à des mélodies joyeuses et animées, le bleu à des mélodies calmes, et ainsi de suite). Un moment vraiment spécial et très intéressant, car certaines des personnes voyantes présentes n’avaient jamais pensé à ces aspects de la vie d’une personne aveugle.

  • QUEL BILAN TIREZ-VOUS DE CETTE EXPÉRIENCE?

Un bilan sans aucun doute positif. Ce Ccfé-récits, qui était organisé un peu différemment que  d’habitude, s’est révélé être un fantastique instrument de cohésion sociale et de partage. Nous avons clairement vu qu’il était important de faire preuve de souplesse et d’adapter en cours de route, si nécessaire, le projet initialement prévu. Pour une prochaine fois, nous retiendrons de cette expérience d’organiser en premier le café-récits, suivi de la visite du musée, afin que celle-ci ne prenne pas toute la place dans la partie narrative. L’expérience de combiner plusieurs projets sociaux sera certainement à renouveler.

  • QUE PENSEZ-VOUS DES MÉTHODES DU CAFÉ-RÉCITS?

Les cafés-récits sont une occasion idéale pour partager ses réflexions et expériences avec des personnes qui ne se connaissaient pas forcément au départ.

L’idée était de créer de la cohésion entre les participant-es, de l’inclusion et une compréhension mutuelle, de mettre tout le monde à l’aise et de permettre un échange humain, afin de montrer, au final, tout ce que nos vies ont en commun, ce que nous partageons, même si nos différences apparentes pourraient d’abord laisser penser le contraire.

 

Café-récits: programme de promotion

Le café-récits «Con-tatto» a obtenu une contribution de soutien. Le site Internet donne de plus amples informations pour soumettre une demande: programme de soutien 2022.

Sans doute peut-on dire d’un café-récits qu’il fut intense, émouvant, touchant, léger, joyeux, ou grave. Mais peut-on dire qu’il fut réussi ou, à contrario, qu’il ne le fut pas ? Dire qu’il ne le fut pas, ne serait-ce pas mettre en doute la qualité des récits partagés ? Retour d’expérience.

 

Texte : Anne-Marie Nicole

Début décembre 2021, le Musée Ariana, à Genève, a organisé un week-end participatif et festif « L’art pour tous, tous pour l’art » dédié à l’inclusion et à la diversité des publics, avec une programmation culturelle favorisant la pluralité des regards sur les activités. Dans ce cadre, deux cafés-récits ont été proposés. Par le passé, d’autres cafés-récits avaient déjà été organisés au musée, à l’initiative de Sabine, médiatrice culturelle. Lors de ces rencontres, le Musée Ariana souhaitait mettre à disposition du public l’espace muséal et les bienfaits de la conversation bienveillante.

« Nous sommes restées sur notre faim »

Le thème « Plaisirs et déplaisirs » a été retenu, lequel devait permettre d’évoquer les petits plaisirs qui font le sel de la vie et qui, comme une Madeleine de Proust, replonge les personnes dans les odeurs et les émotions de leur enfance. Et puisque ce week-end visait à solliciter les capacités sensorielles des publics attendus, ce thème devait donc également inviter à parler des souvenirs et des expériences sensorielles : le plaisir et le déplaisir des sens, le goût et le dégoût, les bonnes et les mauvaises odeurs, la vue et l’ouïe qui peuvent réjouir mais dont certaines personnes sont privées…

Le samedi, à l’issue du premier café-récits, qui a réuni une douzaine de personnes avec et sans handicap, nous, animatrices et médiatrices, sommes restées sur notre faim, avec le sentiment de quelque chose de décousu et d’inabouti. Nous avions encore en mémoire les précédents cafés-récits, riches et émouvants, où les propos s’enchaînaient naturellement et où les histoires des uns faisaient écho chez les autres. Mais là, malgré la richesse de quelques témoignages et une traduction en langue des signes qui a dynamisé les échanges, nous étions déçues. Qu’est-ce qui n’avait pas fonctionné ?

Des causes diverses

Nous avons identifié des causes qui relèvent, d’une part de conditions externes, d’autre part de la préparation du café-récits.

  • L’environnement. Les conditions d’accueil étaient encore soumises aux mesures de protection sanitaires contre le Covid-19. Par conséquent, la grande salle avait été largement aérée et la température relativement fraîche incitait à garder les manteaux. Les sièges très espacés formaient un large cercle, privant le groupe d’une certaine intimité. Le port du masque rendait parfois les propos difficilement audibles. Les bruits provenant des autres activités dans le musée perturbaient l’écoute et l’attention, de même qu’un certain va-et-vient dans la salle, avec des personnes arrivées tardivement et qui n’avaient, par conséquent, pas connaissance du déroulement ni des consignes d’un café-récits. Enfin, toujours en raison des mesures sanitaires, nous avons dû renoncer à la partie « café » informelle qui est pourtant un moment essentiel pour tisser les liens.
  • La préparation. Après réflexion, je dois reconnaître que j’ai perdu de vue le contexte dans lequel se déroulaient ces deux cafés-récits. Plutôt que valoriser les expériences sensorielles que les participantes et participants venaient de vivre durant la journée au musée et de mettre ce vécu en relation avec des souvenirs et des événements passés, j’ai abordé trop largement le thème des « Plaisirs et déplaisirs ». Cela explique certainement un déroulement décousu et parfois incohérent, et sans doute aussi la frustration de certaines personnes de n’avoir pas pu s’exprimer sur les découvertes et les sensations vécues le jour même.
  • Le groupe. À cela s’est ajoutée la question de la diversité des publics : des personnes en situation de handicap physique ou psychique, leurs proches et leurs accompagnant·es. Avec le recul, je pense que je / nous aurions dû davantage travailler sur la dimension inclusive de l’animation du café-récits, par exemple en associant à l’animation une personne en situation de handicap.

Apprendre de ses erreurs

Pour le deuxième café-récits, nous avons entrepris des ajustements, principalement d’ordre logistique – par exemple, nous avons fermé la porte de la salle à l’heure annoncée pour le début du café-récits. Les considérations liées à la préparation du thème et à l’accueil de la diversité des publics sont venues ultérieurement, après un moment d’échange entre animatrices et médiatrices et un temps de réflexion personnelle.

Cette expérience m’a appris que chaque café-récits est unique, avec son rythme, sa dynamique et son atmosphère. Elle m’a surtout convaincue, certes de l’importance de choisir un lieu chaleureux, convivial et rassurant, mais aussi de l’importance d’une bonne préparation : prendre le temps de réfléchir au thème choisi, par rapport à soi-même d’abord, mais aussi en fonction du public attendu. Pour mieux, ensuite, dérouler le fil de la conversation.

Pour des cafés-récits réussis

Or, les récits ne se jugent ni ne s’évaluent ; ils ne sont ni bons ni mauvais, ni justes ni faux. Ils sont, simplement. Non, les causes d’un café-récits « manqué » sont à chercher ailleurs : dans la préparation, la connaissance préalable et l’accueil du public ainsi que dans l’environnement.

 

Guide pratique

Le Guide pratique du Réseau Cafés-récits aide les animateur·trices et les organisateur·trices à préparer et à conduire des cafés-récits.

Marianne Wintzer est fondatrice de Geschichtenwerkstätte, médiatrice, coach et animatrice de cafés-récits. Elle est convaincue que ces derniers sont l’endroit idéal pour s’exercer à la communication non violente.  

 

Marianne, la violence dans la communication a-t-elle augmenté?

Marianne Wintzer: La violence fait partie du quotidien. C’était déjà le cas auparavant et rien ne changera sur ce point à l’avenir. Le «discours de haine» ou la «cancel culture» sont malheureusement des phénomènes marquants de notre époque. Je suis attristée de voir combien de gens ont désappris à écouter les autres. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir une réponse à tout ou de convaincre quelqu’un de son opinion. Pour moi, le café-récits est une très bonne méthode d’entraînement pour plus de compréhension et de tolérance.

Comment s’«entraînent» les participant·es lors des cafés-récits?

Au sein de cet espace de confiance, l’estime, la compréhension mutuelle et le respect sont exigés. Écouter, se mettre à la place des autres et se souvenir de ses propres histoires est un travail sur soi-même très intense émotionnellement. Des expériences tombées dans l’oubli peuvent soudain refaire surface et ne demandent qu’à être mises en mots. Elles peuvent également revêtir une nouvelle signification («je n’avais jamais vu ça comme ça»).

Les gens sortent-ils changés du café-récits?

Le café-récits aide à vérifier et à améliorer ses propres modèles de pensée et de communication en dialoguant avec d’autres personnes. Le principe est le suivant: «Raconte-moi, je t’écoute et je comprends tes motivations. Ensuite, je raconterai et tu m’écouteras. Nous ne devons pas nécessairement être d’accord, mais laisser parler l’autre et essayer de le comprendre.» À la fin, dans la partie informelle, j’entends souvent la phrase: «Je n’avais jamais vu les choses de cette façon.» Pas seulement à propos des autres, mais aussi à propos de soi!

Cela ressemble aussi à une méthode de gestion des conflits.

Oui, une discussion positive est toujours un vecteur de paix. Sur certains aspects, le café-récits ressemble à la médiation. Lors d’une médiation, des parties en désaccord sont assises face à face. Lors de la phase d’éclaircissement du conflit, la médiatrice ou le médiateur s’assure qu’il n’y a pas de discussion, mais uniquement des demandes de précisions. Les parties doivent s’écouter mutuellement et échanger leurs points de vue. Ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent assouplir leurs positions, trouver une solution qui fasse l’unanimité et adopter ensuite cette solution élaborée ensemble.

Interview: Anina Torrado Lara

À propos de Marianne Wintzer

La Soleuroise Marianne Wintzer anime régulièrement des cafés-récits. Elle est fascinée par les histoires de vie et convaincue qu’il n’est jamais trop tard pour bien vivre. Avec son Geschichtenwerkstätte (Atelier des histoires), elle coache les personnes qui souhaitent donner une nouvelle direction à leur vie. Marianne Wintzer aime aussi passionnément raconter ses propres histoires de musique et de nature: avec son cor des Alpes et son büchel.

Groupes de parole, forums d’idées, ateliers-débats, etc. Les espaces d’échanges sont nombreux et poursuivent tous une ambition louable et utile au sein de la collectivité. Dans cette diversité de lieux, qu’est-ce qui distingue les cafés-récits ? Nous avons posé la question à Déo Negamiyimana, qui a eu l’occasion d’animer plusieurs rencontres, dont la dernière selon les principes du café-récits.

Texte: Anne-Marie Nicole

Les différents espaces de parole possèdent généralement des caractéristiques qui leur sont propres: domaine d’action ou thématique spécifique, visée thérapeutique, échange de bonnes pratiques, offre d’aide et de conseil, etc. Le plus souvent aussi, ces lieux répondent à des règles de fonctionnement qui leur appartiennent et s’adressent à des groupes particuliers de personnes.

Déo (à gauche) aime animer les rencontres par les jeux. Son chapeau irlandais symbolise sa feuille préférée, la trèfle, dont la croyance populaire irlandaise dit qu’elle porte bonheur.

Et les cafés-récits, qu’est-ce qui les caractérisent ? Ce sont des espaces de rencontre dédiés à la conversation attentive et bienveillante, dont l’objectif est de créer des liens et des résonnances entre les histoires des gens. Ni débats, ni leçons, ni conseils, mais un partage basé sur les expériences, les vécus, les souvenirs et les éclats de vie sur un thème donné. Personne n’a tort, personne n’a raison.

En l’espace de six mois, Déo Negamiyimana (à gauche), qui préside le Centre pour la promotion de l’écriture et la liberté d’expression (CEPELE), à Bulle (FR), a animé trois rencontres. La première, sur le thème de l’intégration des migrant-es, a donné aux participant-es l’opportunité de partager leurs idées et leur compréhension de la question de l’intégration. Une deuxième rencontre, s’est tenue en juin 2021 dans le cadre des Journées nationales du café-récits, tandis que la troisième a eu lieu à la mi-janvier 2022 et s’est déroulée selon les modalités et les règles de discussion du café-récits. Elle a réuni des jardinières et jardiniers en herbe ou chevronnés autour du thème du jardinage. Les personnes ont raconté comment cette passion du jardinage leur est venue, qu’est-ce ou qui est-ce qui leur en a donné le goût, quelle a été leur plus grande fierté ou encore si elles ont un jardin secret.


Anne-Marie Nicole: Déo, en quoi ce café-récits était-il différent des deux premières rencontres que vous avez animées sur les thèmes de l’intégration et des événements de la vie?

Déo Negamiyimana: La troisième rencontre était très différente des deux premières parce que j’avais déjà acquis de l’expérience au niveau de la préparation et de l’animation. Je l’ai préparée en collaboration avec une autre animatrice, ce qui m’a aidé à tisser de manière approfondie la trame des questions, tandis que pour les premières rencontres, je m’étais contenté de questions souvent improvisées, ce qui m’a fait perdre le fil de la conversation. Les apports étaient davantage théoriques, comme la définition du concept d’intégration, la qualité de migrante ou migrant, les avantages d’une intégration réussie, etc., et moins axés sur les récits de vie des personnes. L’animation du troisième café-récits s’est faite de manière plus détendue, ayant profité aussi d’une autre expérience auprès de Renata Schneider, à Fribourg, que je suis allé voir animer son énième café-récits. Curiosité, expérience et organisation ont donc caractérisé mon dernier café-récits, dont le thème sera d’ailleurs repris pour un autre café-récits que j’animerai à Bulle, au mois de juin prochain.

Pourquoi avoir choisi ce thème du jardinage?

De mes échanges avec une animatrice, divers thèmes ont émergé. Le jardinage a tout de suite suscité mon intérêt parce qu’il fait appel à l’actualité des jardinières et des jardiniers dans notre région de la Gruyère. Cette animatrice m’a d’ailleurs mis en contact avec une responsable du jardinage de la Croix-Rouge fribourgeoise qui en a parlé autour d’elle, suscitant l’intérêt des usagères et usagers des Jardins des Capucins qui ont participé en nombre au troisième café-récits avec beaucoup d’histoires à raconter.

Comment les participant-es au café-récits sur le jardinage ont-ils accueilli le format de cette rencontre?

Après avoir présenté le concept du café-récits, les personnes ont pris librement la parole, racontant chacune ses expériences passées et actuelles. Très spontanément, elles ont évoqué leurs histoires avec enthousiasme et respect mutuel, et poursuivi les échanges de façon informelle autour d’un apéritif.

Quel moment fort gardez-vous en mémoire?

Je garde en mémoire l’histoire d’une participante qui détestait jardiner. Née dans une grande ville, elle n’avait jamais été en contact avec la terre. Plus tard, sa fille a appris à jardiner avec l’école et chaque fois qu’elle rentrait à la maison, elle insistait pour que sa mère aille jardiner avec elle. Aujourd’hui, non seulement la mère accompagne sa fille, mais elle est aussi passionnée par tout ce qui touche au jardin et, surtout, elle n’a plus peur des petites bêtes qui peuplent le sol, et qui ont longtemps été son cauchemar à chaque fois qu’elle pensait au jardin.

Quels enseignements tirez-vous de ce café-récits pour la suite des activités de votre association?

C’est un café-récits qui m’a donné envie de m’investir de manière assidue. Trois cafés-récits sont déjà au programme de cette année. Il n’est pas impossible que deux ou trois autres s’y ajoutent. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, dit le proverbe!

Portrait

Déo Negamiyimana, est journaliste et formateur d’adultes. Il préside le Centre pour la promotion de l’écriture et la liberté d’expression (CEPELE), à Bulle (FR). Cette association œuvre dans le domaine de la migration, de l’écriture et de l’intégration culturelle. «On peut être Suisse de naissance et être migrant-e», dit-il, rappelant ainsi que l’intégration culturelle se fait aussi souvent lorsqu’on passe d’un canton à l’autre.